En ces temps de débat présidentiel, la France regarde ses voisins. Et sans barguigner - soleil mis à part ! - l’Allemagne et l’Europe du Nord tentent aujourd’hui un peu plus que les rivages sud de notre continent.
Si l’on parle économie, activité, emploi, ces pays semblent réussir à fabriquer et vendre (et d’abord en Europe !) des produits ou des services de qualité, ceux du travail bien fait.
Ils le font dans des entreprises petites et moyennes où ceux qui dirigent et ceux qui font réussissent souvent (pas toujours) à se parler sérieusement. C’est-à-dire que dirigeants et représentants des salariés ont pris l’habitude de négocier sur ce qui est important : le travail et son organisation, les compétences nécessaires pour bien le faire, les dispositifs pour entretenir ces compétences et les faire évoluer, les qualifications, la reconnaissance du travail.
Ils ne sont pas d’accord ? La belle affaire. Dans les pays où le protestantisme a pu s’installer [1], la confrontation des points de vue dans les communautés ne met pas en danger le dogme : elle l’éclaire. On peut même imaginer que cette confiance que crée la négociation aboutie a des liens avec la qualité de ce qu’ils produisent, avec la performance des entreprises, avec l’excellence.
En France, longue histoire catholique et centralisée qui nous traverse tous : un prêtre, un roi, un premier consul, un président, un dirigeant entré à moins de 20 ans dans les meilleures écoles savent ce qu’il est juste et bon de faire, pour tous les autres.
C’est dans ce contexte qu’il nous faut aussi placer la question de la négociation de la formation professionnelle dans les entreprises de ce pays.
Elle avait été rêvée par Jacques Delors et son entourage au moment de l’accord clef entre partenaires sociaux de 1970, qui donna naissance à la fameuse loi dite « Delors » de 1971.
A l’époque, pour le CNPF (devenu MEDEF), la formation continue devait rester du ressort exclusif des dirigeants de l’entreprise. Informer les instances, d’accord, mais négocier : il n’en était pas question. La France n’est ni l’Allemagne, ni la Suède, ni le Danemark.
Il faudra 35 ans dans ce pays (!) pour voir émerger une loi en 2005 (celle du 18 janvier, art. 72) instaurant une obligation de négociation de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences : tous les 3 ans, pour les entreprises de plus de 300 salariés.
Depuis 2005, entre gestion des compétences et formation, des ponts peuvent s’imaginer, ils se construisent déjà ici et là. Mais… le diable est dans les détails, comme toujours. Chacun connaît dans ce pays les effets mortifères des innombrables instances obligatoires et rituelles, où des acteurs fatigués de répéter la même pièce perdent un temps précieux, gaspillé en pure perte. Parce qu’ils ne savent plus se parler en confiance de ce qui est important.
C’est dans ce contexte que l’Université ouverte veut saluer Stéphane Lardy et Jean-François Pillard. Ces deux responsables sont sur les deux rives du dialogue social dans ce pays. Ils connaissent le sujet sur le bout des doigts.
Ce sont des personnes de grande qualité : ils connaissent l’histoire et ne se racontent pas d’histoires.
Merci à eux d’avoir accepté de débattre sur le fond d’une question qui a tant à voir avec la qualité des compétences des hommes et des femmes au travail. C’est-à-dire avec ce qui est aux sources de l’activité et de l’emploi durable dans ce pays.
Jean Besançon,
Directeur de l’Université ouverte des compétences
[1] L’invention de l’Europe, Emmanuel Todd (éditions Le Seuil, 1990)
Stéphane Lardy est secrétaire confédéral à la formation, à l’emploi et au chômage à la CGT-Force ouvrière (FO).
Jean-François Pilliard est délégué général de l'UIMM et président de la commission protection sociale du Medef.