Au fil de vos travaux, vous avez constaté depuis une trentaine d’années un glissement lexical concernant la santé mentale au travail. Comment expliquez-vous cette situation ?
Il est vrai que le champ de la santé mentale au travail est particulièrement prolixe quand il s’agit de désigner son objet : stress, souffrance au travail, risques psychosociaux, burnout, bore out, qualité de vie au travail… Aujourd’hui, on parle de bien-être au travail : un terme chasse l’autre. Mon hypothèse face à ce constat est que, quand les mots glissent sur une chose, c’est qu’il y a une angoisse sociale autour de celle-ci, que l’on est dans le déni. Dans le cas de la santé mentale au travail plus précisément, je pense qu’il s’agit du déni du conflit. Je ne parle pas ici de conflit lié à la relation salariale ni de conflit de personnes, mais du conflit de critères sur la qualité du travail.
Qu’entendez-vous par là ?
Par essence, le réel divise les gens. Chacun perçoit celui-ci différemment selon la place qu’il occupe. Il est donc intrinsèquement difficile pour un groupe de s’accorder sur une vision des choses qui unisse toutes les parties. Ainsi, dans une entreprise, même petite, tout le monde n’aura pas la même idée de ce qu’est un travail « bien fait ». Pour les uns, la priorité sera la qualité du geste, pour d’autres ce sera celle du produit ou encore le rendement. Il y a des incompatibilités entre ces objectifs et, pourtant, en soi, ce type de désaccords peut faire l’objet d’arbitrages favorables imprévus. Le conflit de critères doit être discuté, faire l’objet de débats, et pas uniquement entre salariés et hiérarchies, mais aussi entre les salariés qui, sur le même poste, peuvent avoir des avis divergents sur le travail bien fait. Les controverses sur la qualité du travail doivent provoquer une instruction du conflit. Car le dialogue est un instrument de découverte et peut ouvrir sur une autre manière de faire...
Télécharger le Grand entretien de Yves Clot (Travail & Sécurité n° 808)
Travail & Sécurité est un magazine mensuel qui a pour objectif de sensibiliser les dirigeants d’entreprises et les membres de CHSCT aux questions de prévention au sein de leurs établissements. Il les informe sur l’actualité de la santé et de la sécurité au travail en France en illustrant les problématiques de prévention en entreprise. Il aborde les aspects pratiques, techniques et réglementaires de la prévention.