En privilégiant l’approche ethnographique, l’objectif de ce numéro est de comparer des processus d’évaluation dans différentes institutions (administration pénitentiaire, lycée, police, travail social) et entreprises qui ont fait l’objet d’enquêtes empiriques (presse, banque, cabinet de conseil). Sont réunis ici sept études de cas qui partagent une même approche méthodologique fondée sur l’observation et la contextualisation des interactions, de façon à décrire et à expliquer les appropriations et les critiques des outils d’évaluation chiffrés.
Comme l’a particulièrement rappelé l’attribution du prix spécial de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel à l’économiste Esther Duflo, on constate en ce début de siècle une multiplication des évaluations dites objectives pour justifier différentes orientations – parfois contradictoires – des politiques éducatives (Pons, 2018), d’insertion (Simha, 2015), de l’emploi (Vivès, 2019), ou encore de développement (Jatteau, 2013). Foule d’observateurs évoquent aujourd’hui le fait que nous serions entrés dans une ère où les outils d’évaluation réputés objectifs font désormais autorité dans l’organisation du travail. Cela aurait pour conséquence une efficacité toujours plus grande de l’activité. Cette hypothèse fait écho aux conclusions de Max Weber quant à la fatalité, qu’on la souhaite ou non, de la progressive rationalisation des bureaucraties (Weber, 1995). La question mérite toutefois d’être éprouvée au regard d’enquêtes empiriques.
Par l’attention accordée aux usages et à l’influence des dispositifs d’évaluation chiffrée dans le cours du travail, les contributions à ce dossier se situent dans le sillon tracé par différents courants de recherche empirique. La sociologie historique de la quantification, tout d’abord, a largement contribué à dénaturaliser la production et l’usage des « grands nombres » ainsi que leur caractère consubstantiellement politique et technique (Desrosières, 1993), le recensement participant, par exemple, à constituer une nation (Didier, 2009) ou le pib participant à faire de la richesse nationale un levier d’intervention politique (Fourquet, 1980)...
La revue Sociologies Pratiques est proposée par l'Association des Professionnels en Sociologie de l'Entreprise (APSE) qui est une association atypique réunissant sociologues praticiens, chercheurs et professionnels partageant une même conviction : mieux comprendre les situations de travail permet de les transformer.