La crise sanitaire a mis en évidence l’importance des professionnels de « première ligne » (soignants, agents d’entretien, livreurs, etc.). Ces derniers tirent notamment leur reconnaissance de la qualité du travail effectué, ce qui permet même dans certains cas de renverser les rapports de force avec leur hiérarchie. Pour Yves Clot, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) cette qualité du travail constitue plus largement la « clé de la santé au travail, celle du corps et celle de l’esprit ».
On parle souvent de la reconnaissance comme condition du travail bien fait. Dans la crise sanitaire de 2020, c’est le travail bien fait, au bon moment et au bon endroit, qui a forcé la reconnaissance. On savait l’importance pour la santé de pouvoir faire quelque chose dans quoi on se reconnaît. On l’a vérifié. Que des travailleurs d’habitude « invisibles » aient pu, dans ces circonstances, éprouver le sentiment d’un peu de reconnaissance sociale n’a fait que révéler ce qu’il y avait d’anormal auparavant. Contre les habitudes, une situation finalement « normale » s’est trouvée très momentanément rétablie : être reconnus comme utiles quand on l’est.
Ces travailleuses et ces travailleurs n’étaient pourtant pas dupes de l’héroïsation qui a enflammé les discours du moment. Ne soyons pas plus naïfs qu’eux. Car, au nom de l’urgence, beaucoup de leurs droits ont « sauté », que ce soit en matière de durée du travail, d’organisation des congés ou de prérogatives des représentants du personnel.
L’après-crise – si tant est qu’on puisse encore parler ainsi – ne laissera pas une situation pacifiée et les héros d’un jour risquent bien de redevenir invisibles. À moins que tous les protagonistes de la situation réagissent à la secousse pour se mesurer au problème que nous voulons justement poser dans ce livre : celui d’ouvrir les lieux de décision à d’autres professionnels venus du « terrain », celui, en quelque sorte, de revoir les frontières entre dirigeants et dirigés.
On pourra dire, à propos de l’hôpital, que la preuve est encore à faire de la réalité effective des transformations annoncées. Et on aura raison. Car leur ampleur potentielle porte atteinte...
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Yves Clot professeur émérite de psychologie du travail au CNAM, est chercheur au Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD). Il est notamment l’auteur, à La Découverte, de « Le Travail sans l’homme ? » (1995) et « Le Travail à cœur » (2010) et de plusieurs interventions à l'UODC :
- Mettre en débat la qualité du travail dans les entreprises. Pour l’institution d’une coopération conflictuelle, Vidéo complète n°230, septembre 2018
- Le travail ni fait ni à faire : comment en sortir ?, Vidéo complète n°134, mars 2012
- Travail et pouvoir d'agir, Vidéo complète n°84, mars 2009
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