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Lorsque les dirigeants parlent de changement - ils en parlent tout le temps - ils parlent du changement qu’ils doivent conduire. Eux, les responsables qui voient loin devant. Parce que le monde, le marché, la technologie, la concurrence, l’actualité, la crise du moment font qu’il faut changer. Ils imaginent très rarement que ceux qui font le travail sur le terrain n’arrêtent pas de changer, d’innover, de s’engager et de coopérer pour faire leur travail.
Et du coup que rencontrent les dirigeants ? Des blocages, la fameuse « résistance au changement ». Qu’ils vont combattre avec force ou finesse pour pouvoir aboutir aux changements jugés nécessaires. Et si avec Norbert Alter on regardait la question du changement, de l’innovation et de la coopération de manière radicalement différente ?
Une organisation où les personnes donnent, coopèrent, prennent des initiatives ? Apparemment, cela devrait être le rêve des dirigeants. Or très étrangement cet engagement, toujours présent - sinon le travail ne se ferait tout simplement pas - est rarement perçu, encore moins reconnu. Il faut donc changer !
Dans la vision la plus répandue le chef est la locomotive, qui tire, non sans mal, les wagons qui freinent (comme l’analysait finement Frédéric Mispelblom-Beyer à l’UODC en s’intéressant au travail du chef).
Dans cette vision, le travail du manager est épuisant, car il doit « tirer » tout le monde et conduire le changement par-dessus le marché. Et la contribution de ceux qui s’engagent tous les jours au travail ? Non reconnue, elle conduit au conformisme, à la démobilisation, au retrait.
Norbert Alter, notamment dans un très grand livre Donner et prendre - la coopération en entreprise (éditions la Découverte, 2009), nous aide à déchiffrer une des plus grandes énigmes du travail : pourquoi les personnes coopèrent ?
Ou pas.
Qu’est-ce qui fait que les salariés s’engagent dans le travail ? Est-ce seulement pour le salaire qu’ils donnent de leur temps, de leur expérience, qu’ils aident des collègues ou des jeunes, qu’ils témoignent tous les jours de leur volonté de bien faire en dépassant les procédures ?
Donner, coopérer, prendre des initiatives : pour favoriser la coopération et agir sur ce qui bloque, il faut savoir ce qui bloque. Ce qui demande de bousculer la plupart des allant de soi du management.
L’UODC est très honorée d'avoir reçu recevoir Norbert Alter, qui s’appuie sur sa grande expérience du travail dans les entreprises. Mais qui tire aussi toutes les conséquences, dans la sphère du travail, de la thèse fondatrice de Marcel Mauss dans son Essai sur le don : ce constitue la base du lien social, c’est donner, recevoir et rendre.
Et pour tous ceux qui l’ont vécu, l’entendre et débattre avec lui est aussi un petit régal !
Spécialiste de la sociologie des organisations, Norbert Alter a une connaissance empiriquement fondée de la vie des entreprises et des rapports sociaux qui s’y nouent : il a été sociologue d'entreprise chez France Télécom durant treize ans avant d’entrer à l’Université, d’abord au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) en tant qu'enseignant-chercheur durant quatre ans, puis à l'Université Paris Dauphine durant une vingtaine d'années. Membre du laboratoire DRM (Dauphine Recherche en Management) CREPA, il y a été directeur du CERSO (Centre d’Études et de Recherches en Sociologie des Organisations) de 2000 à 2008 et co-directeur du master « Management, travail et développement social ».
Co-fondateur de l'Association Professionnelle des Sociologues d'Entreprise et de la revue "Sociologies Pratiques", toutes les recherches de Norbert Alter participent au débat entre management et sciences humaines. Toutes indiquent que le social est au cœur de l’économique.
Spécialiste des questions d'innovation et de coopération dans les organisations, il mobilise les théories sociologiques, psychologiques et anthropologiques pour analyser les pratiques de gestion.
Ses travaux s'intéressent à la dynamique des organisations et à leurs acteurs.
L'innovation résulte selon lui d'un processus non linéaire au cours duquel l'invention initiale ne trouve que progressivement sens et efficacité. Trois étapes se succèdent : idée initiale, appropriation, institutionnalisation. Les innovateurs y occupent une place centrale : ils transgressent puis inversent les normes sociales. Sous cette forme, l'innovation renvoie à un phénomène "ordinaire", émergeant des pratiques sociales.
À propos de la coopération, il mobilise centralement la théorie du don et les travaux de Marcel Mauss. Il observe que la compétence collective repose sur le principe de "réciprocité élargie": les individus au travail échangent pour être efficaces, pour créer des liens sociaux et pour "faire société". Ses travaux éclairent également un paradoxe : le management s'évertue à mobiliser les salariés alors qu'il s'agit de tirer parti de leur volonté de donner.
Les travaux de Norbert Alter ont donné lieu à une dizaine d’ouvrages parmi lesquels :
« La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques » (éditions Puf, 2018)
« Sociologie du monde du travail » (éditions Puf, 2012)
« Donner et prendre - La coopération en entreprise » (éditions La Découverte, 2009)
« Les logiques de l'innovation. Approche pluridisciplinaire » (éditions La Découverte, 2010)
« L’innovation ordinaire » (éditions Puf, 2000)
« La gestion du désordre en entreprise » (éditions L'Harmattan, 1991)
Les mots-clés
Crédits
Amphi débat du 19/04/2022
Date d'édition : 07/06/2022
Durée : 1:10:27
Programmation et animation : Jean Besançon, directeur de l'Uodc
Réalisation et édition : Pierre Cécile
© Pratiques & Stratégies - juin 2022 - reproduction interdite